
Les Kogis vivent la terre autrement
Il y a environ 15 ans, j’ai entendu parler pour la première fois des Kogis et cela a été pour moi une sacrée découverte. J’ai été interpellée et captivée par leur histoire et surtout par leur relation avec la terre et la Nature. Ils ont nourri et enrichi ma propre vision et ma démarche pour vivre autrement avec la terre.
Une rencontre décisive pour les Kogis
Tout commence fin 1985.
Un jeune géographe, Eric Julien, part en expédition au nord de la Colombie dans la Sierra Nevada de Santa Marta. C’est une chaîne de montagne isolée, en forme de pyramide. A peine 40 kms séparent la mer de ses sommets enneigés qui dominent à 5775 mètres.
Alors qu’il s’enfonce au cœur de la Sierra avec l’équipe qui l’accompagne, dans un vent froid d’altitude, il se sent fatigué. Rapidement, au cours de la nuit suivante, il ne peut plus respirer et se sent sombrer. Il est victime d’un œdème pulmonaire et doit redescendre au plus vite, alors qu’il est si près des sommets…
Il sera sauvé par des Indiens Kogis qui vivent dans la Sierra Nevada, une communauté qui évite avec soin tout contact avec les étrangers. Ils vont le soigner pendant une quinzaine de jours et il va découvrir un peuple qui a une culture extraordinaire. Ils lui témoignent leur confiance en lui partageant leur situation dramatique. Ils ont besoin de son aide pour récupérer leurs terres dont on les a dépossédés.
Reconnaissant et impressionné, il s’engage auprès d’eux à revenir et à les aider même s’il ne sait pas comment il va faire.
Et en 1997, il fonde l’association Tchendukua – Ici et Ailleurs dont le projet est de restituer aux Kogis leurs terres ancestrales. Depuis cette année-là, l’association a réussi son pari puisque « entre 1997 et 2020, plus de 2000 hectares ont été récupérés, 60 familles ont pu se réinstaller sur leurs terres ancestrales et près de 1200 hectares de forêts ont été régénérés ». Et l’action se poursuit toujours afin d’arriver à racheter les terres jusqu’à la mer.
En bref, l’histoire tragique des Kogis
Les Kogis sont des descendants des Tayronas, une civilisation précolombienne qui a disparu après l’arrivée des conquistadores (1524). Leur grande particularité est qu’ils continuent de vivre de la même manière que les Tayronas.

Tour à tour, les colons, les pilleurs de tombes et plus récemment les narcotrafiquants, les paramilitaires et la guérilla leur ont volé leurs terres. Ils ont été obligés de se retirer de plus en plus haut dans les montagnes, mettant leurs vies en danger.
Les Kogis seraient aujourd’hui environ 25 000 (contre 1,6 million il y a 500 ans).
Ils dénoncent depuis des années la déforestation qui saccage leur territoire, l’expropriation et l’exploitation de leurs terres, des terres ancestrales qui leur appartenaient depuis des milliers d’années. En 30 ans, la Sierra Nevada a perdu 78 % de ses forêts.
Pour eux, mettre en péril la Sierra Nevada de Santa Marta est très préjudiciable au reste du monde puisqu’elle est reliée par ses lieux sacrés à la planète toute entière.
Comment les Kogis considèrent la Nature
Qu’en est-il tout d’abord de leur lieu de vie ?
La Sierra Nevada de Santa Marta est la plus haute montagne en bordure de mer du monde et serait « une copie miniature de la planète entière » selon de nombreux géologues. Elle s’étage sur 5 niveaux thermiques depuis la mer jusqu’à des forêts d’altitude, les paramos à 4000 m, en passant par des forêts tropicales, la jungle et la forêt de brouillard. Sa configuration particulière, la variété de ses climats en font un monde à part.

Bien qu’elle représente une infime partie du territoire, – 1,48 % de la surface du pays – « elle concentre 35% des espèces d’oiseaux vivant en Colombie et près 7% des espèces d’oiseaux vivant sur la planète. » Elle recèle par ailleurs une très grande richesse en plantes endémiques dont 96 espèces ont été recensées.
Pour les Kogis, les montagnes où ils vivent forment « le cœur du monde ». C’est comme un monde complet où se trouvent toutes les formes de la nature qu’ils connaissent parfaitement.
La Sierra est plus qu’une montagne, c’est un être vivant à part entière comme un grand corps tout comme la planète Terre. Par exemple, les roches sont les os, les rivières représentent les veines, les arbres sont ses cheveux, les couches du sol ses muscles… Les Kogis ont acquis une connaissance intime de la nature et ils vivent à son écoute.
C’est la Nature – leurs relations avec elle – qui définit les lois qui vont organiser leur société tant sur le plan politique que social ou économique. Ils ont conscience que ce qu’ils font à la nature aura inévitablement des conséquences sur eux. Ils se sentent partie intégrante de la nature et ils disent : « nous sommes la nature ».
« La base de la loi Kogi est «Tu ne peux rien utiliser – terre, eau, air, lumière, etc. – sans rétablir l’équilibre que tu as dérangé. » (1)
Ils sont en cela guidés par les Mamus, les autorités spirituelles formées dès la naissance à ressentir le vivant, à la sensibilité exacerbée et qui connaissent parfaitement la Nature.

Les Kogis, des agriculteurs incomparables
C’est par un exemple surprenant que je vais illustrer leurs aptitudes exceptionnelles à cultiver.
Des terres, dans la région chaude, leur ont été restituées après qu’elles aient servi de lieu de culture aux narcotrafiquants. Ces terres étaient littéralement dévastées. Elles ont été maltraitées par les narcotrafiquants et elles ont reçu des quantités massives de glyphosate par voie aérienne destinées à détruire coca ou marijuana. Ces terres étaient une véritable désolation…
Lorsqu’ils ont repris possession de ces terres, les Mamus en ont réveillé la mémoire grâce à des sites sacrés qu’ils réactivent et ils ont pratiqué des rituels pour les purifier. Leur capacité à ressentir les traumas qu’avaient subi ces lieux, tant ils ont la pleine conscience de la nature, les a guidés pour pratiquer les actions justes afin de leur redonner vie.
Et en quelques années à peine, des arbres ont poussé et des « jardins » – ils cultivent des espaces avec une grande diversité de plantes – sont apparus. Ces terres sont redevenues luxuriantes.
Des paysans voisins n’en croyaient pas leurs yeux, désireux de savoir comment ils avaient réalisé un tel « miracle ».
Leurs connaissances en agriculture, issues d’un système millénaire de gestion et de contrôle biologique, consistent à utiliser les caractéristiques de chaque plante de manière complémentaire avec les autres plantes cultivées (cycles de vie, propriétés…). La synergie de ces associations donne de formidables résultats, sans intrants d’aucune sorte. Les Kogis disent qu’ils passent des alliances avec la nature et leurs pratiques sont une véritable coopération consciente avec elle.

J’aime raconter cette histoire aux agriculteurs que je côtoie, elle est un bon point de départ me semble-t-il pour repenser, dans la modernité qui est la nôtre, notre relation à la terre, de vivre la terre autrement.
Les Kogis au chevet de nos territoires
Pour moi, le fait qu’ils soient devenus « visibles » dans les années 90 n’est pas le fruit du hasard. Cela est arrivé au bon moment pour que nous, dans notre modernité, puissions prendre appui sur leur expérience incroyable avec la terre.
Et aujourd’hui, je me réjouis de voir que des scientifiques de haute volée leur font appel en France pour les aider à résoudre des problèmes écologiques et environnementaux sur notre territoire.
Une première rencontre a eu lieu dans le Haut-Diois (Drôme) en 2018 entre des représentants du peuple kogi et une quinzaine de scientifiques français. Les Kogis ont ressenti le territoire en perte de vitalité et de santé là où les scientifiques considèrent que la nature est préservée. Ils vont au-delà de la perception physique, dans une dimension énergétique et vibratoire qui leur permet d’anticiper les problèmes.
En octobre 2023, une nouvelle délégation kogi s’est rendue en Suisse puis dans la région de Grenoble. Ils ont stupéfait les scientifiques qu’ils ont rencontrés en décrivant le passé et l’histoire des lieux visités qu’ils ne connaissent pas.
Ils nous aident à reprendre contact avec la Nature
Ils se disent porteurs d’une mission confiée par la mère Terre qui est d’apprendre à ceux qu’ils appellent « les petits frères » (les occidentaux) à se réconcilier avec le vivant. Eux-mêmes se nomment « les grands frères », les Gardiens de la Terre qui, en prenant soin de leur montagne la Sierra Nevada de Santa Marta, soignent également la planète Terre toute entière.
Nous ne pouvons que saluer leur engagement plein de sagesse et d’humanité, ils sont une lumière d’espoir pour notre avenir.
La preuve en est que
Leur système ancestral de connaissances a été reconnu par l’UNESCO patrimoine culturel immatériel de l’humanité, en 2022.
Et vous, trouvez-vous inspirant et motivant cette relation des Kogis avec la terre ?
Source vidéo : TéléGrenoble
Photos : Eric Julien / Tchendukua
Bibliographie : Le chemin des Neuf Mondes -Eric Julien – Ed Albin Michel
(1) Les indiens Kogis – La Mémoire des Possibles – Eric Julien – Ed ACTES SUD